lundi 4 janvier 2010

Le Yémen, une poudrière à surveiller

Article écrit début novembre pour la revue Regard critique,  le journal des hautes études internationales de l'Université Laval au Canada (en attente de publication), qui montre toute sa pertinence avec les événements récents (tentative d'attentat à bord d'un avion en partance pour les USA, déclarations du Président américain Obama sur le Yémen, fermetures des ambassades américaine, anglaise, française au Yémen...)

Connue dans l'Antiquité sous le nom d' « Arabie heureuse », le Yémen demeure un pays secret, faisant de brèves apparitions dans les médias internationaux. Situé à la pointe sud-ouest de la péninsule d'Arabie, il possède des façades maritimes sur le Golfe d'Aden et sur la mer Rouge et partage une frontière de plus de 1300 kms avec l'Arabie Saoudite, lui conférant ainsi une importance géostratégique réelle. Sa proximité géographique avec certains des plus gros producteurs mondiaux de pétrole est un atout qu'il ne semble guère être en mesure d'exploiter au mieux, en raison de son extrême pauvreté, de ses dissensions internes (le Yémen actuel date de 1990, année de la réunion des Yémen du Sud et du Nord) et de la présence sur son territoire d'Al Qaida. 

L'année 2009 a été un tournant pour le Yémen sur la scène internationale et ce pour de mauvaises raisons. L'annonce dans une vidéo diffusée en janvier de la création d'un Al-Qaida dans la péninsule arabique réunissant les branches yéménite et saoudienne du réseau a rappelé l'activité terroriste qui sévit dans le pays. De même, la guerre civile opposant les tribus proches du clan Houthi (chiite) au gouvernement (sunnite) ne fait qu'annoncer ce que beaucoup craignent: que le Yémen devienne un nouvel Afghanistan, incontrôlable et dangereux pour la sécurité régionale.

Un pays divisé

De part sa tradition et son histoire, le Yémen ne peut prétendre à être un état fort et centralisé. Il doit au contraire faire avec un système composé de tribus très puissantes, ainsi qu'avec deux courants musulmans, les chiites (42%) et les sunnites (55%). Bien que le slogan des Houthis soit « Mort à l'Amérique! Mort à l'Israël! Maudits soient les Juifs! Victoire à l'Islam », il convient de relativiser leurs revendications. Comme le précise Barah Mikaïl, chercheur à l'IRIS, elles sont davantage liées à des problématiques d'ordre économique et social, les chiites, comme en Arabie Saoudite, étant privés des fonctions importantes et subissant de nombreuses discriminations. Le jeu du président yéménite Ali Abdallah Saleh, qui n'a de cesse de consolider son pouvoir depuis vingt ans, consiste à tenter d'afficher une relative fermeté; mais il s'avère dangereux sur le long terme car il ne mène à aucune solution viable. Pour preuve, on peut penser aux 150000 réfugiés qu'a engendré ce conflit qui dure depuis plus de 5 ans. Les membres du clan Houthi sont efficaces dans leurs attaques perpétrées à l'encontre du régime de Sanaa, leur arrestation les fait passer pour des martyrs. Qui plus est, les insinuations du président sur une intervention en sous-main de Téhéran ne tiennent pas la route, faute de preuve et d'arguments sérieux.

Il est vrai que la tâche du Président n'est guère aisée pour maintenir un semblant de cohésion et d'autorité. Son soutien aux Etats-Unis dans leur politique de lutte contre le terrorisme mondial a provoqué l'émergence d'une jeunesse l'accusant d'avoir trahi le pays. Ses relations avec ces derniers sont d'ailleurs très complexes à percevoir dans leur globalité, même s'il est clair que le thème fondamental demeure le terrorisme et Al-Qaida.

La « patrie » d'Al-Qaida

Les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par Al-Qaida ont marqué les esprits, faisant connaître cette organisation terroriste au monde entier. Elle était pourtant loin d'être méconnue par l'armée américaine: en octobre 2000, 17 marines furent tués lors de l'attaque du torpilleur USS Cole au large d'Aden; Al-Qaida revendiqua l'attaque. Afin de ne pas être considéré comme un ennemi des Etats-Unis, le gouvernement de Sanaa a décidé rapidement de coopérer afin de débusquer les membres d'Al-Qaida présents sur son territoire et de détruire l'organisation. En effet, cette dernière remet en cause indirectement l'autorité du Président Saleh par ses actions de déstabilisation et de terreur. Rappelons que Ben Laden est originaire du Yémen et qu'il circulait tranquillement dans le pays, jusqu'à ce que sa présence devienne problématique. De même, comme le rappelle le journaliste du Figaro Georges Malbrunot, près d'un tiers des prisonniers de Guantanamo sont originaires du Yémen, ce qui fait du pays le « berceau » de la nébuleuse Al-Qaida. Contre toute attente, la collaboration entre services américains et yéménites a fonctionné - à l'inverse de ce qui se passe au Pakistan, autre pays en proie au terrorisme où les résultats n'ont pas été à la hauteur des moyens engagés- : pendant trois ans, Al-Qaida a subi des revers sans précédent, ses responsables étant soit arrêtés soit assassinés, à l'image de l'exécution par un drone de la CIA en 2002 d'Ali Al-Harithi, l'un des cerveaux de l'attentat contre l'USS Cole.

Mais des tensions sont apparues entre les deux États, tensions qui se sont transformées en méfiance et en défiance, lorsqu'en février 2006, 23 prisonniers suspectés d'appartenir à Al-Qaida se sont échappés de leur prison, avec la complicité certaine des autorités locales. Parmi eux figurait Nasir al-Wahayshi, un ancien secrétaire de Ben Laden qui a entrepris depuis la reconstruction de l'organisation. Le voile cachant le double-jeu du gouvernement yéménite s'est déchiré: combattant officiellement Al-Qaida, ce dernier s'en sert pour ses propres desseins, au risque de ternir l'image du pays qui n'était déjà guère brillante. Les multiples enlèvements d'étrangers et les assassinats qui ont suivi (personnel médical allemand, touristes coréens...) ont démontré le large champ d'action que possède Al-Qaida dans ce pays, au relief aussi accidenté que celui d'Afghanistan, et où il est très facile de se cacher. Le président Saleh a eu beau jeu de demander aux tribus de leur livrer les terroristes, ce qu'ils ont fait. Mais en vérité, sa réaction relève seulement d'une considération géographique: le gouvernement intervient seulement lorsque les attaques ont lieu sur son territoire, il ferme les yeux en revanche lorsque des Yéménites agissent à l'extérieur.

C'est ainsi que plusieurs centaines de Yéménites, avec la complicité des autorités, ont quitté le pays pour combattre en Irak et là où les Américains sont présents. Le problème fondamental tient aujourd'hui à la naissance d'une nouvelle génération d'Al-Qaida. Les anciens membres qui ont accepté de participer à un programme de réinsertion sont devenus des traîtres aux yeux d'une jeunesse facilement influençable. La situation est désormais hors de contrôle, ce qui peut surprendre lorsqu'on sait qu'il y a au maximum un demi millier de combattants d'Al-Qaida au Yémen.

Éviter l'engrenage infernal

Le Moyen-Orient est toujours plus instable: avec un conflit israélo-palestinien qui s'éternise et où aucune solution ne pointe à l'horizon, un Iran fragilisé par les dernières élections et soucieux d'assoir son influence sur la scène régionale, un Irak sujet à des influences extérieures nombreuses et néfastes, le Yémen devient, pour ainsi dire, l'étincelle capable d'embraser la région. Al-Qaida s'y est reformé, il est désormais plus fort, s'étend à d'autres pays (l'Arabie Saoudite) et participe à des opérations spectaculaires (assassinats d'otages) et médiatiques aux yeux de ses fidèles (l'envoi de jeunes affronter les Américains en Irak). Il jouit pour ce faire d'un état yéménite délabré, sans autorité, où la corruption fait des ravages. La capitale Sanaa est ainsi devenue le carrefour pour la revente d'armes entre l'Afrique et la région Pakistan/Afghanistan. Même si le Yémen affiche une politique de fermeté à l'égard des Somaliens arrivant sur son territoire, il n'en demeure pas moins qu'il constitue, avec la Somalie, une source d'inquiétude certaine, cette dernière étant devenue en un an « la championne de la piraterie maritime ».

Certes, les Américains ont entrepris depuis 2008 d'aider financièrement le Yémen (9,5 puis 24 millions de dollars en 2009), par des programmes liés à l'essor d'une économie viable, ainsi qu'à l'éducation. Toutefois, les millions dépensés ne semblent pas avoir porté leurs fruits. La présence américaine, officielle ou officieuse (par l'intermédiaire de la CIA), est nécessaire pour inciter cet Etat à mieux gérer le problème Al-Qaida. Il est vrai que les Etats-Unis sont déjà occupés sur les terrains afghan et irakien mais négliger le Yémen serait une grave erreur. L'Afghanistan et le Pakistan ne sont plus désormais si favorables à l'essor d'Al-Qaida, à l'inverse du Yémen. Seule une politique audacieuse des Etats-Unis, en concertation étroite avec les autres Etats arabes, parviendrait à pousser la nébuleuse terroriste dans ses derniers retranchements.

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